LE TEMPS DES REBÂTISSEURS
Le lendemain de l'incendie qui s'est déclaré à Notre-Dame (en pleine semaine pascale ; ça sent le Phoenix qui va renaître de ses cendres, « si on ne se loupe pas » bien entendu), j'ai ressorti de ma bibliothèque et relu, un petit livre de poche que je m'étais procuré en 2000 :
« Le message des constructeurs de cathédrales » de Christian Jacq, docteur en égyptologie.
Quel rapport avec l’Égypte me direz-vous ? Eh bien les fondements des religions judéo-chrétiennes et de leur ésotérisme (dont l'alchimie et la Tradition initiatique des bâtisseurs de cathédrales) ont largement emprunté à cette dernière.
Cet ouvrage édité en 1974 tient lieu de pain béni en cette période sans queue ni tête que nos sociétés occidentales en quête de sens semblent traverser. La vision du Sacré, de la société et du monde selon le Moyen Âge est plus qu'éclairante à ce sujet, ne dissociant jamais l'individuel du collectif, l'intérieur de l'extérieur, la matière du divin.
J'avais laissé un ticket de métro à cette page ; avis à celles et ceux qui croient encore à la gratuité du « hasard » :
Hommes grossiers, écrivait Michelet, qui croyez que ces pierres sont des pierres, qui n'y sentez pas circuler la sève, chrétiens ou non, révérez, baisez le signe qu'elles portent. Ici il y a quelque chose de grand, d'éternel ».
Une hymne du IX° siècle résume en termes admirables le rôle de Notre Mère, la Cathédrale :
« Elle resplendit au royaume céleste,
L'éternelle et noble cité de Jérusalem,
Qui est notre haute mère à tous.
Le Roi éternel l'a créée pour les bons
Comme la digne patrie
Où, heureux et sans maux,
Ils se réjouissent sans fin.
Ses nombreuses maisons
Sont contenues dans de vastes murailles,
Car chacun reçoit sa demeure
Qui correspond à ses actions.
Mais, en retour, il est favorisé
D'une récompense commune,
L'amour unique
Qui les embrasse dans ces murs sacrés.
Au lieu de m'étaler en interprétations personnelles inutiles ; je m'en tiendrai à partager ci-dessous un florilège (subjectif) d'extraits donnant matière à réfléchir, et envie de lire l'ouvrage dans son intégralité (un crayon à la main pour marquer les passages importants !). NB : la symbolique des différentes parties de la cathédrales est indiquée en pages 157-158.
La reconstruction de Notre Dame est moins anodine qu'il n'y paraît ; si elle est faite en conscience, c'est la société qui sera réparée en parallèle, cf les citations ci-dessous. Quant au temps réservé à cette tache d'ampleur ; comme pour chaque chose, « le temps nécessaire » est en général la durée idéale.
C'est parti :
(…) il faut voir dans cette composition symbolique l'affirmation de la Vierge comme trône de la Sagesse.
Il aurait pu dire, comme Jean Balard étudiant la symbolique médiévale : « Qu'on ne nous reproche pas une évasion hors d'un présent aux terribles urgences : il n'en est pas de plus grande que le besoin de rétablir le sens éthique et de recréer notre vie intérieure. (...)
Pour l'homme de science, indissociable de l'artisan, le monde visible n'a de signification qu'en fonction du monde invisible. Aussi la science médiévale, avant sa corruption par le rationalisme, s'adresse-t-elle surtout à ce que l'on nomme, d'un mot vague mais encore parlant, l'âme. (…)
Dans chaque phénomène apparent, dans chaque manifestation naturelle, il y a quelque chose d'utile pour l'épanouissement de l'être. Quelque chose que ne découvriront ni l'érudition, ni la compilation, ni la dissection, mais le contact fraternel avec le cœur du vivant.
Si la terre n'est pas divinisée, elle n'est plus habitable, car elle cesse d'être le trône de la divinité. La divinisation de la terre est toujours à recommencer ; rien de plus fragile, rien de plus précieux.
La science du Moyen Âge, celle que pratiquèrent les Maîtres d’Œuvre, ne se veut pas théorique. La théorie est bavarde, gratuite ; seul compte un empirisme noble, où la main et l'esprit travaillent ensemble. L'intelligence est comprise comme l'art de rassembler ce qui est épars, non comme la faculté perverse d'analyser et de dissociation.
Les textes les plus sûrs sont les Légendes, du latin legendia, « ce qui doit être lu ». Par une curieuse, et souvent regrettable, inversion des valeurs, nous croyons souvent aujourd'hui que la légende concerne le domaine de l'irréel alors qu'au contraire, elle nous parle du plus réel, du symbole.
L'homme du Moyen Âge des cathédrales ne fait pas « son » art. Il remplit un devoir de sacralisation, il ennoblit la plus petite parcelle du réel. Car l'art dans lequel il intègre sa pensée est beaucoup plus que lui-même, beaucoup plus qu'un individu ; il représente la vision d'une communauté de l'intérieur.
L'idée la plus fausse, selon les constructeurs, est que le mal réside dans la matière. Seules des Églises moralisantes, des sectateurs déséquilibrés peuvent prétendre une pareille chose. Chacun sait que mépriser ou négliger la matière, c'est se rejeter soi-même, c'est nier tout principe d'harmonie.
Les savants qui se croient « objectifs » violent la nature. Le savant du Moyen Âge s'unit avec elle, accomplit un mariage sacré avec les signes tangibles que la divinité a placés sur son chemin.
Le Moyen Âge, comme les civilisations traditionnelles, pense qu'il n'y a pas de tâche plus vitale que de concilier l'immuable et le mouvant, de réussir la « conciliation des contraires », qui est le premier pas de l'initiation, la première opération du Grand Œuvre alchimique. En cas d'échec, l'homme se brise en « esprit » et en « matière », la société s'enfonce dans la politique, l'économie, les conflits internes où les hommes étouffent.
Ainsi faut-il construire sur la terre des temples, des cathédrales, des Notre-Dame afin que le monde d'en bas soit en correspondance avec le monde d'en haut. Ainsi, chacun aura devant les yeux une image de l'architecture secrète du monde et pourra consacrer sa vie à le déchiffrer.
La lumière qui se trouve là ne se rencontre nulle part ailleurs ; dans la cathédrale, on ne détruit pas, on transforme tout ce qui se présente par le processus de la transmutation alchimique. Il n'y a plus de puissant et de faible, de grand et de petit ; sous les voûtes de la Notre-Dame, c'est l'essentiel d'un être qui se révèle. (...)
Si la naissance de la cathédrale est le fait des bâtisseurs, son existence quotidienne est placée sous la responsabilité de tous.
Si, à partir du XVI° siècle, l’église s'est enfoncée dans l'ennui et dans la grisaille, si elle s'est coupée du monde des bâtisseurs, de l'initiation et de la symbolique, c'est parce qu'elle ne sait plus rire d'elle-même. En se prenant au sérieux, elle a oublié des valeurs fondamentales.
Chaque lieu saint est, selon la formule de Lehmann, un « laboratoire d 'énergie universelle ».
« En effet, c'est une chose réellement admirable que, dans sa petitesse, l'église soit semblable au vaste monde. »
Ne confondons surtout pas l'initiation avec l'acquisition de pouvoirs personnels. Les chapiteaux du Moyen Âge nous mettent clairement en garde contre cette tendance qui égare tant de chercheurs.
Quand les Maîtres d’Œuvre construisaient des églises chrétiennes sur les ruines de temples païens, ils vivaient l'âme de la Tradition qui intègre tout et ne détruit rien.
Les symboles sont les lampes sur notre route, les étoiles qui nous guideront pour sortir d'une existence anarchique et devenir un homme nouveau, une pierre de la cathédrale qui s'édifiera jusqu'à la fin des temps.
Il serait regrettable de regarder l'art médiéval à la manière du touriste trop pressé, qui passe dans sa propre existence sans y prendre garde, ou de l'érudit qui refuse toute perception sensible.
Pour terminer sur une note plus légère ; je vous parlais des boîtes à livres et des synchronicités : voici ma dernière trouvaille lors d'un petit troc ;
« Anthologie de la poésie française » de Georges Pompidou,
qui rappelons-le, était agrégé de Lettres (même que mon père l'avait eu comme professeur de latin à Henri IV ; ça ne s'invente pas !). Un livre à garder.
Pour les temps actuels et à venir ; on a besoin de fraîcheur enfantine pour nous préserver de la corruption, de poésie pour nous préserver du découragement, et d'activités manuelles et de Nature pour nous préserver du stress et de la colère ; on rajoutera une bonne grosse dose d'humour pour ne pas se prendre au sérieux ou dramatiser pour rester créatifs : l'indispensable panoplie du Castor Junior !!!
Bonne lecture et bonne cogitation à vous :)
À vrai dire, les vers ne sont qu'une des multiples expressions possibles de la poésie. Celle-ci est ou peut se trouver partout. Dans un roman comme dans un tableau, dans un paysage comme dans les êtres eux-mêmes, se manifeste parfois je ne sais quelle puissance de rêve, parfois encore une pénétration singulière, une sorte de plongée dans les profondeurs, provoquant chez le lecteur ou le spectateur une joie mélancolique, une tristesse complaisante ou désespérée, ou encore une jubilation soudaine, qui sont quelques-uns des effets de la beauté poétique.
PS : niveau travail ; un livre de psychologie passionnant en cours d'illustration à découvrir dans quelques mois, et le peaufinage de mes projets d'édition avant de démarcher les éditeurs ; il faut bien se lancer à un moment ou à un autre, c'est imminent... À suivre donc.